The Menu

27 novembre 2022 :

Encore un peu de place pour un petit dessert au chocolat ?

Alors que la cuisine fait sa mayonnaise à toute heure du jour et de la nuit à la télévision, elle s’invite également sur les écrans de cinéma, qu’elle soit terroir bon enfant (La Dégustation), à dimension sociale (La Brigade) ou qu’elle soit urbaine et élitiste (The Chief).

Il n’en fallait pas moins pour qu’un réalisateur pousse le concept du culinaire dans ses retranchements… en tranchant, justement, dans le vif du sujet. Autant le dire : la cuisine cinématographique et gustative de Mark Mylod est paroxytique.

Le scénario prend plaisir à renverser tous les codes du milieu de la haute gastronomie pour en extraire une marmelade bien sanguinolente et trash. Ce thriller conceptuel repose sur une ambiance peu propice à une dégustation chaleureuse. Le décor est ultra-contemporain, épuré, aseptisé, sans couleur. De même, la construction scénique emprunte au théâtre minimaliste : un huis-clos pour développer la sensation d’enfermement, un menu qui déroule ses plats comme autant de scènes allant crescendo dans l’angoisse et la violence. Car ce sont les plats eux-mêmes qui font le menu Et le film.

Cette dégustation de haute-voltige est orchestrée par un chef encensé par le monde la critique culinaire, courtisé par les célébrités qui cherchent à réserver dans son restaurant pour s’en pavaner ensuite, adulé par sa brigade, sur laquelle rejaillit l’aura du maestro. Un maestro superbement interprété par un Ralph Fiennes qui excelle aussi bien dans le sadisme dont il fait preuve que dans sa fausse humilité à accepter l’auto dérision.

Dès l’arrivée sur cette île isolée du continent, dans ce restaurant de béton qui sonne prison, on plonge dans l’absurde, dans l’absurde, dans l’horreur. Le spectateur est aussi le client qui est aussi l’acteur du drame déroulé dans le menu. Le scénario n’omet absolument rien pour faire de cette dégustation de classe un subtil jeu de dupes, un grand jeu de vilains, un cauchemar terrifiant. Les scénaristes, épaulés très certainement par des experts du milieu, dressent un portrait aussi réaliste qu’il n’est consternant et risible de la grande cuisine : une cuisine moléculaire qui n’a plus rien de goûteux, des intitulés on ne peut plus snobs, des prix pratiqués totalement indécents, des critiques culinaires hypocrites, qui font et défont les réputations à leur guise et selon leur humeur, un esprit de compétition affûté comme un couteau de boucher pour asphyxier toute convivialité et partage d’expérience, pour parvenir finalement à ce constat plus amer, suicidaire : celui de la perte du sens, de la perte du goût et de la perte de tout plaisir, à cuisiner mais aussi à déguster. Une dénonciation, qui n’y va pas par quatre chemins, de l’emprise du savoir-faire technique sur l’humanité et l’émotionnel.

La satire, éclaboussée d’hémoglobine façon Quentin Tarentino, est jouissive.

Il ne saurait être question de dévoiler à quelle sauce – la dernière dégoulinante de chocolat - le spectateur doit lui aussi être mangé. Laissons-lui néanmoins le bonheur de pouvoir mordre avec délectation, comme l’actrice Anya Taylor-Joy, celle qui résiste au chef et provoque son respect, dans un bon cheese-burger, dressé à la minute avec des ingrédients de qualité, complété de frites maison parfaitement cuites ; histoire qu’il puisse sortir de la salle comblé de joie par un film qui a tout de l’exercice de style réussi. 

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