Compte-rendu exhaustif :
Les Français consomment en moyenne sept kilogrammes de chocolat par an, soit l’équivalent de 70 tablettes. Une bonne partie de leur consommation survient pour la période des fêtes de fin d’année. Une période qui est synonyme, pour les artisans et les industriels, d’une intensification de la production et source de recettes venant compenser les périodes « creuses » de l’année.
Ainsi, Jacques GENIN doit produire 8000 bonbons de chocolat fourrés à la vanille et au caramel, enrobés par des noix de macadamia, pour éviter une rupture de stock prématurée. Compte tenu des tensions existantes sur le marché du cacao, il indique avoir « toujours peur » de manquer de matières premières en raison de la fulgurante augmentation des prix. Il explique avoir besoin, pour produire ses emblématiques bonbons, de sacs de 3 kilos de palets. Le kilo de palets valait il y a encore quatre ou cinq ans 8 euros ; il est à 90 euros. Sachant qu’il doit disposer de 25 tonnes de palets par an, faites les comptes !
La problématique des industriels est différente puisqu’eux produisent leurs chocolats en millions de tonnes. En chiffre, les périodes de fête représentent une fabrication de 34.000 tonnes de chocolat pour une période de 15 jours, avec une particularité bien française : la préférence pour le chocolat noir. Or, tous sont également confrontés à un risque de pénurie car au début de la chaîne, les producteurs locaux sont de moins en moins nombreux à vouloir exercer dans le secteur, peu rentable et pénible.
Comment expliquer la différence de coût ? Le prix varie de 10 euros pour un chocolat à pâtisserie à 130 euros pour un produit de luxe. La question est : y aura-t-il du chocolat pour tout le monde ?
Chez NESTLE, dans un village à 1h de Genève
Achat de 20 tonnes de fèves en provenance de Côte d’Ivoire.
Pour Nestlé, il ne s’agit désormais plus de fabriquer et de produire des chocolats de base mais aussi de fabriquer des tablettes « grand cru » et « recettes de l’Atelier ».
La Côte d’Ivoire est le principal fournisseur des industriels en cacao. Les plantations locales, idéalement situées sur la zone de l’Equateur, permettent au pays de produire plus de 2 millions de tonnes de fèves par an, ce qui représente ¾ de la production mondiale. Un tiers des Ivoiriens travaille dans le secteur et dépend du cacao sur le plan économique.
Problème : les plantations sont très difficiles d’accès (pas d’infrastructures, pas de routes, des pistes souvent défoncées et impraticables en fonction des saisons), tant pour les acheteurs qui cherchent à se rendre sur le terrain pour évaluer la qualité des cacaoyers que pour les producteurs qui ont des difficultés à acheminer leurs cargaisons. En outre, ceux-ci sont de moins en moins motivés à poursuivre une activité qui, de leur côté, n’est pas rentable : ils ne sont payés que 700 francs CFA le kilo de fèves, soit 1 euro.
Les industriels, tels que NESTLE, sont dès lors obligés d’adopter les grands moyens pour se garantir l’exclusivité des productions, ce d’autant plus que la concurrence sur place est rude ! CARGILL COCOA PREMIUM. Les industriels sont contraints de « supplier », de « faire des cadeaux » : ils créent dans les villages de producteurs des écoles, ils les relient à l’eau potable. Bref, ils font dans le développement durable OBLIGATOIRE. Ils y sont d’autant plus obligés que le risque de pénurie en matières premières est réel : peu de jeunes ont envie de se lancer dans le métier du cacao, considéré comme dur sur le plan physique et matériel, et peu rémunérateur. La preuve en est : si un tiers des Ivoiriens vit du secteur, les enfants n’ont jamais goûté le produit fini vendu en Occident.
Il faut donc, pour les soutenir, faire de la pédagogie et financer des actions. Pour NESTLE, cela prend la forme d’un PLAN CACAO qui lui coûte 100 millions d’euros.
Pourtant, les industriels cherchent des solutions alternatives pour éviter la pénurie : NESTLE dispose d’un laboratoire secret dans lequel une plante miraculeuse est développée et permettrait de produire toute l’année des cabosses, et non pas deux fois par an. On l’appelle la « Mercédès ».
NESTLE se bat donc en permanence pour disposer de matières premières. Il ne peut néanmoins pas agir sur le prix d’achat en raison des nombreux intermédiaires qui sont des étapes obligées. Ainsi, le kilo de fèves, au départ, coûte 1 euro. Les fèves doivent pourtant être acheminées dans le village le plus proche par un pisteur et y demeurer quelques jours pour sécher, ce qui fait passer le kilo à 1,10 euros. Elles sont ensuite transmises à la coopérative locale, qui va en faire un tri en fonction de leur qualité et de leur calibre. Le prix augmente encore de 10 centimes. Le traitant s’occupe ensuite du nettoyage et de la mise en sac pour le transport : le kilo passe le 1,30 euro. Mais c’est au niveau de l’exportateur, qui travaille au port, que le coût explose car c’est lui qui s’occupe du stockage des sacs dans les halls et qui se prend une taxe d’environ 20 % sur l’ensemble des cargaisons achetées, auxquelles il convient d’ajouter, pour les acheteurs, les taxes à régler à l’Etat. Le kilo de fèves peut alors passer sans difficulté la barre des 2 euros. Ce qui signifie qu’entre sa récolte et son transport, son prix augmente de 100 %.
Les prix sont d’autant plus soumis à fluctuation et inflation que l’exportateur peut maintenir sciemment les cargaisons dans les entrepôts, parfois même pendant un an, lorsqu’il ne s’entend pas sur le prix. Ils sont également dépendant des cours de la bourse, le cacao étant une matière première soumise au travail des financiers.
Comment expliquez et comment font les artisans et industriels pour ne pas répercuter ces fluctuations et tensions des prix sur les étals et rayonnages ? Compensations et imagination sont à la manœuvre.
Exemple : JEFF DE BRUGES (30 ans, Philippe JAMBON, PDG)
Tous les produits s’affichent à 44,40 euros le kilo, ce qui ne représente que 10% d’augmentation du prix en dix ans.
Les industriels, à son image, jouent non sur la qualité mais sur la quantité, compte tenu des volumes qu’ils produisent. Ainsi, sur des millions de chocolat fourrés fabriqués, ils peuvent se permettre d’alléger le dosage et la concentration du fourrage : en particulier, baisser la part de chocolat.
Sur le plan mathématique, le prix de revient d’un chocolat fourré se décompose ainsi :
- 7 euros le kilo de chocolat
- 2 euros le kilo de crème
- 50 centimes le kilo de sucre
Pour réduire le coût de production, il suffit de remplacer le chocolat par d’autres matières premières.
Tous les industriels jouent aussi sur le packaging et l’emballage : chez Jeff de Bruges, l’emballage des chocolats fourrés double le prix au kilo : « Une boîte cadeau mais pas à un prix cadeau ». Après calcul, la boîte coûte 22 euros alors que le chocolat contenu dedans ne coûte que 17 euros.
Pour les artisans, le packaging n’est pas un critère sur lequel s’appuyer pour réduire les coûts ou compenser la hausse du prix de revient. En effet, les coffrets luxe sont vendus toute l’année à la clientèle. De même, jouer sur la qualité est impossible par leur activité même d’artisans. Pour Jacques GENIN, la solution passe par le développement d’une gamme de chocolat à la pâte de fruits.
Avec son ami Stéphane BONNAT, Jacques GENIN est constamment en quête de la fève d’excellence. Ils se rendent ensemble au Pérou pour y tester un nouveau grand cru, développé dans un endroit tenu ultrasecret en raison de l’espionnage industriel, situé à la frontière brésilienne, dans une zone appelée « Madre de Dios », à laquelle on accède après plusieurs heures de piste. Grâce à Stéphane BONNAT, le Pérou est devenu le pays « El Dorado » du cacao, parce qu’il s’y rend depuis 15 ans et à conçu, en partenariat avec des coopératives et producteurs locaux, les plantations. Sans être propriétaire, il dispose ainsi d’une « réserve de production » et négocie le prix des fèves en direct. Pour que tout le monde soit gagnant et que la qualité y soit toujours, il propose toujours trois fois le prix du marché. Il vaut mieux surpayer pour s’assurer l’exclusivité, surtout lorsque le produit est limité en quantité.
Dernière solution pour répondre à une demande consommateur toujours plus pressante : le RUBY Chocolate ! Un chocolat rose sans colorant ni arôme, conçu par le géant Barry Callebaut. Mais trop de mystères entourent un chocolat qui est censé attirer de nouvelles parts de clientèle, en particulier sur le continent asiatique. Les fèves sont-elles naturelles ? Selon les responsables de l’entreprise, seules cinq personnes sont au secret. Toutefois, le directeur marketing du groupe laisse entendre qu’il a fallu 13 ans de recherches en laboratoire pour trouver la bonne combinaison de molécules, ce qui revient à dire, comme le pense Jacques GENIN, que le RUBY est tout sauf un chocolat naturel.
Dernière solution : Les décorations des chocolats pour les fêtes. Stéphane BOUILLET, chocolatier, précise que ses décorations sont faites main et demandent du temps, ce qui justifie alors l’augmentation du prix au kilo du chocolat.