24 février 2024 :
Résumé :
Rose fête ses neuf ans et déguste une part du gâteau au citron confectionné pour l’occasion par sa mère. Quoique délicieux au départ, elle y détecte toutefois des saveurs complexes qui la troublent et la contrarient. Depuis ce jour, il n’est pas un plat, pas un aliment qu’elle ingère qui ne lui procure des émotions intenses, contrastées, souvent négatives. Pour Rose, la nourriture a le goût de ce que ressentent les gens qui la fabriquent ou qui se contentent de la manipuler ou de la transporter. Par ce prisme, elle prend conscience des dysfonctionnements propres à son environnement familial : une mère frustrée qui entretient une relation durable avec un amant, un père déconnecté, un frère brillant dans les études mais solitaire… Parviendra-t-elle, en grandissant et à l’âge adulte, à trouver, en dépit de ce don culinaire dont elle cherche pourtant à se débarrasser, de sa propre place dans le monde ?
Avis :
Ça parle de gâteau, ça parle de glaçage au chocolat, ça parle de cookies aux pépites de chocolat, ça parle aussi de beurre de cacahuète, de sandwich, de spaghettis et de plats salés à la sauce américaine et surtout, ça parle des émotions provoquées par le goût. Les ressentis, propres à tout à un chacun, que l’on soit un bec sucré ou un bec salé. Dans ce roman d’apprentissage et de quête, écrit avec fluidité et dans un style qui tient le lecteur dans l’attention et l’envie de poursuivre page après page l’évolution de Rose dans son quotidien et dans sa manière d’envisager son environnement de vie et le monde, l’auteure se fait l’apôtre du bon et du mauvais goût, notions qui relèvent de la subjectivité. Surtout, elle va au-delà en apportant à son récit tous les ingrédients nécessaires pour créer une atmosphère fantasque, débordante d’imagination : du don culinaire de Rose découle des découvertes d’un père qui a peur d’être confronté au don dont il a hérité dans les hôpitaux, d’un frère qui lui, se transforme en meuble, d’un grand-père paternel lui-même doté d’un sens olfactif particulièrement prégnant…
Rose ne peut manger sans être immédiatement connectée – et servir ainsi, à ses dépens, de caisse de résonance, de punching-ball ou de boomerang – aux émotions directes et indirectes des personnes en lien elles aussi direct ou indirect avec ladite nourriture (qu’elles l’aient fabriqué, ou empaquetée, ou transportée, ou livrée, voire même uniquement vendue). La nourriture dégorge de désespoir, de colère, de frustration, de haine, de dépit, de résignation, moins souvent d’émotions ou de ressentis positifs et enthousiastes. Super-pouvoir, ou don, Rose aimerait en être débarrassée et pouvoir vivre naturellement, simplement, sans appréhender l’heure des repas qui approchent, d’autant plus que, dans son entourage, tout le monde a l’air d’apprécier ce qu’il y a dans l’assiette, personne ne se pose de questions…
Un roman où le gâteau au citron est désespéré, les cookies sont en colère ou pressés, les sandwichs en manque d’amour. Un roman où la solitude sclérose l’être au point d’en devenir figé comme un meuble. Un roman qui, finalement, interroge nos relations avec le réel et incite à lutter contre l’inertie, qui reconnecte aux cinq sens, aux émotions, pour (re)vivre !