24 juin 2023 :
Résumé : Fils et petit-fils de planteurs de cacao d’un village camerounais, Abéna grandit avec un sentiment de malaise qui va croissant face ce qu’il ne sait pas encore nommer : la dépendance des familles vis-vis à des acheteurs de fèves, souvent citadins et très souvent occidentaux. Ses études secondaires puis universitaires lui font pleinement prendre conscience du déséquilibre. Ce déséquilibre le révolte car il est volontairement maintenu par un système post-colonialisme, lequel, au nom du profit et de la consommation, est prêt à tout pour asservir les peuples, exploiter les richesses de leur sol et détruire leur environnement. Mais que faire ?
Avis : Conteur et poète, aux frontières entre la tradition et la contemporanéité, Samy Manga use de la magie de son vocabulaire et de son imaginaire pour pourfendre, en constats bien sentis, le monde du cacao dans toutes ses dimensions (sociétales, commerciales, environnementales notamment). Mieux encore : en utilisant la technique du « je » et d’un narrateur qui raconte ce qu’il voit et ce qu’il vit au quotidien depuis l’enfance, il déconstruit un univers qui, pour la plupart des amateurs de chocolat, reste idyllique en dépit des nombreuses alertes lancées par les associations et les médias depuis une dizaine d’années. Pour une fois, il prend la chaîne par son premier maillon – le plus fondamental qui soit car sans lui, il n’y aurait pas de chocolat : le planteur.
En quelques chapitres dont les titres semblent tout droit tirés de l’arbre à palabre, enrichis de dessins graphiques aussi énigmatiques qu’ils ne sont captivants, l’auteur-narrateur capte l’attention du lecteur en lui résumant la vie des planteurs : la résignation face aux prix imposés par les coopératives et les acheteurs, l’obligation de se soumettre aux pesticides et fongicides qui leur sont livrés, l’incapacité de remettre en question un engrenage infernal qui fait que le modèle se reproduit et s’aggrave de génération en génération, au point même de créer des conflits entre planteurs et villageois eux-mêmes.
Politiquement incorrect, Samy Manga, alias Abéna, va jusqu’à dénoncer les chocolatiers industriels et artisanaux qui, en dépit des labels dont ils se targuent et des mesures affichées pour rendre le système viable et respectueux de l’ensemble de la chaîne et de l’environnement, sont tout aussi hypocrites que les politiques locales menées soit-disant pour la défense du sol et l’amélioration des conditions de vie de chacun.
Alors oui, lorsque l’on quitte Abéna, bien déterminé à lutter avec ses propres moyens contre l’enfer qu’est, pour un planteur, le paradisiaque monde du chocolat, on ne peut forcément plus continuer, nous, lecteurs éclairés, de faire les autruches. Alors oui, grâce à cet essai aussi poétique qu’il n’est édifiant, le chocolat aura désormais en bouche un goût amer.