Cette fois, le pas est franchi.

Me voici dans l’antichambre – du moins dans le couloir qui départage les start-ups et microsociétés installées dans les bâtiments désaffectés de l’Hôpital Saint-Vincent de Paul, 14ème arrondissement de Paris, d’une chocolaterie. Une chocolaterie, oui. Mais pas n’importe laquelle. Un bébé-chocolaterie, conçue il y a trois ans environ, qui grandit son petit chocolat de chemin, sans se faire prier et dans la discrétion. Une chocolaterie à taille humaine, qui ne cherche nullement à frayer avec celles dont la longévité et la réputation ne sont depuis longtemps plus à faire.

Cette fois, donc, le pas est franchi. Je suis sur le point d’entamer mes premières expériences de potentielle future apprentie chocolatière – à voir – en bouturant, épépinant, arrosant, rafraîchissant, ciselant, taillant… Bref, une débutante dans l’entretien de Jardins Chocolatés créés avec amour et passion par une horticultrice, maraîchère, fleuriste et paysagiste chocolatière avérée : Carine.

Carine. Sous ses airs impénétrables, imperturbables et sereins, se cache une belle personne. Mais pourrait-il en être autrement lorsque, femme, on se dédie à un métier et une vocation censée être, encore, l’apanage de l’homme ? Carine, avec simplicité, spontanéité et sans chercher à me détourner de mes réflexions, de mes motivations, m’a immédiatement ouvert, sur demande, les portes de son verger-potager-jardinerie de gourmandises. Un petit coin de paradis qui parfume les alentours d’un irrésistible parfum de chocolat.

Me voilà donc, pour la semaine, intégrée à son équipe. Une équipe réduite puisqu’en fait, elle est seule. Comme elle le dit volontiers, elle est à la fois « au four et au moulin », ce qui n’est pas forcément très évident lorsque l’on cherche vaille que vaille à développer une activité. Parce qu’être chocolatier, c’est un tout et ce n’est pas si facile, contrairement aux préjugés persistants. Il faut être partout à la fois : s’occuper des stocks et des relations fournisseurs, entretenir les ustensiles et les matériels indispensables, faire œuvre de création et d’imagination pour tenter et oser de nouvelles recettes, tester, créer, confectionner mais aussi s’occuper du merchandising, du marketing, du packaging, des ventes, de la clientèle. Savoir gérer sa comptabilité, jongler avec différents taux de TVA applicables selon les catégories de produits vendus - merci la législation européenne. Il faut, aussi, ne jamais relâcher sa vigilance dans les contrôles qualité et demeurer, sur l’ensemble de la chaîne, irréprochable sur le plan de l’hygiène.

Autant de défis du quotidien que Carine assume avec vivacité, obstination et, surtout, patience et sérénité, quoiqu’elle concède, bien sûr, avoir des moments de « découragement » qui mènent à la « procrastination », notamment lorsque les échéances importantes se rapprochent. Ce qui est forcément le cas pour Pâques, en avril prochain… La petite chocolatière têtue, mature et réfléchie, projette à moyen et long termes, envisage tel développement pour que sa petite entreprise ne connaisse jamais la crise. En l’occurrence, elle évolue dans des Jardins chocolatés qui sont à son image : naturels, éthiques, vibrants d’humanité. Ses chocolats sont de véritables œuvres à déguster sans modération mais avec respect, parce que créés et confectionnés selon la philosophie de vie d’une Maître jardinière humble mais de caractère. Plus qu’une artisan-chocolatière, Carine reflète son envie de voir nos sociétés évoluer vers la solidarité, le partage et la communauté, et non vers un consumérisme individuel, effréné et sans saveur. L’être humain est au cœur de son projet et se love dans ses chocolats.

La preuve : Carine est aux casseroles mais s’entoure de personnes qui, suite à des parcours de vie difficiles et chaotiques, sont suivies par les milieux associatifs et en reconversion professionnelle. Du bonheur partagé. Pour Carine parce qu’elle dispose d’une main d’œuvre moins chère pour elle, qu’elle prend sous son aile, qu’elle aide à évoluer et auxquels elle redonne confiance. Pour eux qui ne sont pas jugés, qui se sentent au contraire valorisés. Ainsi en va-t-il pour Cristina, d’origine roumaine, qui trouve un plaisir réel à nettoyer les moules, démouler et trier les chocolats ; cela la change des ménages qu’on lui demande de faire. Il y a aussi Philippe, SDF, bourlingueur, qui n’hésite pas à cumuler les emplois, qui est tout sourire, bavard, attentionné et qui cherche sans arrêt à apprendre. C’est du gagnant-gagnant et du positif pour chacun.

Cette semaine, je complète l’équipe.

Affublée d’un tablier et d’une calotte sur le crâne, je ne me sens pas très utile, forcément, dans ce petit laboratoire où je découvre l’envers de la vitrine des chocolatiers et confiseurs. J’observe beaucoup et, selon les invitations et instructions de Carine, que j’espère ne pas trop déranger dans son planning et son organisation, je mets la main à la pâte. Ou plutôt, dans le chocolat. Cette semaine, je trahis mes pâtes à tartiner pour m’initier au B-A-BA du métier : nettoyer, selon des principes d’hygiène rigoureusement appliqués, mais aussi, apprendre le praliné, la ganache. Carine m’a prévenu. Il faut en principe trois jours pour sentir si on a la fibre ou pas. Elle m’a aussi laissé comprendre que dans son atelier, la cadence n’est pas celle qui constitue le lot d’une chocolaterie plus importante. Elle ne raisonne pas en termes de rendement ou de productivité à tout va, n’est pas dans l’organisation paramilitaire, n’a pas l’âme du dictateur ou du chefaillon qui n’existerait que pour humilier son subalterne. Elle fonctionne au feeling, selon ses humeurs du jour, et tant pis pour les objectifs qu’elle s’est initialement assigné pour assurer les objectifs.

Son laboratoire n’est pas grand mais dispose du matériel adéquat pour la confection. Des frigos, des grilles, des becs de poule, des moules, des casseroles, des grattoirs, sans parler du thermomètre qui est l’impondérable – et exclusif - partenaire de tout chocolatier qui se respecte.

Durant cette petite semaine, j’ai pu me familiariser avec des procédés – le nettoyage des moules et la vérification minutieuse qu’il ne reste plus aucune aspérité suspecte dans les alvéoles ; des techniques, des ingrédients de base… ce qui m’a permis d’apprécier du caractère très physique du métier : on est debout toute la journée et les muscles du haut du corps sont sans cesse sollicités. Mesdames, faites de la musculation si vous voulez vous en sortir. Car non seulement il faut pouvoir s’occuper de stocks de chocolats dont les sacs pèsent en moyenne 30 kilos chacun, mais il faut aussi savoir touiller des amandes et des noisettes qui, lorsqu’elles commencent à sabler dans les casseroles où elles ont été versées pour créer, avec le sucre, du praliné, forment un mélange très coriace et difficile à manipuler. Là où j’ai pris le plus de plaisir, je ne l’aurais jamais cru, c’était avec la poche à douille. Alors bien sûr, admirer le geste précis, efficace, rapide et maîtrisé de « ma » chocolatière a été un vrai régal. Mais quel plaisir, après quelques premiers essais maladroits, nerveux, que de réussir à remplir un moule de praliné ou de ganache sans débordements intempestifs, avec une certaine régularité, ce qui qui évite des surplus peu esthétiques ! A force, on rectifie naturellement sa position on manipule la poche comme si elle était le prolongement du bras, on sait la vider, on apprend à la remplir sans s’en mettre partout. Et surtout, on apprend de chaque erreur commise, comme celle de trop remplir une alvéole, ce qui empêche ensuite de « fermer » le chocolat… ! La cerise sur le gâteau, pardon, sur le chocolat, c’est quand on a l’autorisation de pouvoir, en fin d’opération, lorsque les moules sont tous remplis et qu’il reste quelques lampées de praliné ou de ganache dans le plastique, la « téter » dans la régression la plus totale. Jouissif.

Carine m’a permis d’être au four, mais m’a aussi invitée dans son moulin, puisqu’il faut savoir être polyvalent dans le métier. Son bureau jouxte son laboratoire et dans son bureau, c’est plutôt désordonné mais cela fourmille de trucs destinés à attirer et à fidéliser la clientèle. Elle m’explique qu’initialement, lorsqu’elle a lancé sa chocolaterie, elle s’est occupée de tout, sans rien y connaître : quel logo créer pour accompagner sa signature, « Les Jardins Chocolatés » ? Quel design ? Quel packaging ? Quelles matières ? Quelles étiquettes ? Quelle publicité pour accompagner ? Cela n’a pas été simple et d’ailleurs, en faisant évoluer son activité de l’auto-entreprenariat vers la SAS, elle peut désormais se reposer sur une associée qui s’occupe de son marketing. Son logo a changé – j’ai pu ôter les anciennes étiquettes autocollantes pour les remplacer par les nouvelles - et est désormais moins chargé, plus épuré, figurant une tige surmontée d’une petite fleur. Ses coffrets sont d’un carton de très bonne facture. Ils sont sobres, élégants, ils ne sont pas apprêtés, ne sont pas dans le clinquant ou le kitsch. Les couleurs en sont choisies en fonction des périodes phares. Pour Pâques par exemple, les couvercles seront d’un très beau jaune, lumineux et les présentoirs seront agrémentés d’un lapin également jaune découpé dans une feuille épaisse. Bienvenue aux enfants et aux adultes à l’âme d’enfant !

Au four, au moulin, Carine fait tout et sait aussi, quand elle a confiance, déléguer. Je l’en remercie vivement, y compris pour la patience donc elle a fait preuve face aux bêtises que j’ai commises : des moules trop remplis d’abord, mais surtout la perte d’un sac de 30 kilos de pastilles de chocolat noir – valeur 30 euros – fracassé au sol. Elle aurait eu des raisons d’être contrariée mais a surtout témoigné que tous les débutants y passent à un moment ou à un autre. Non seulement elle n’a pas montré signe de contrariété, mais encore n’a-t-elle eu de cesse de m’offrir, durant la semaine, des sachets de chocolats « ratés », c’est-à-dire impossibles à vendre sur le plan esthétique. Et si elle me suggère non sans milice de lui acheter des chocolats pour me dédouaner du sac perdu, encore heureux !!!! J’avais prévu de toute façon de le faire, pour la remercier de son superbe accueil d’une part, mais surtout, d’autre part, pour chroniquer sa gamme de pralinés et de ganaches « jardinés » sur mon propre site et lui faire un peu de pub… !

Ainsi, à l’issue de cette petite semaine en laboratoire, où la lumière du soleil ne m’a pas manqué à un moment alors que je suis en principe un vrai tournesol ambulant, je me sens enrichie. Je mets enfin des mots précis et des définitions sur des recettes qui restaient pour moi purement théoriques. Je me sens enrichie par mes ressentis et les états d’émotion par lesquels je suis passé en tenant en main une spatule, en touillant une casserole voire en nettoyer au coton démaquillant un moule. Surtout, je me sens enrichie par la rencontre avec une Jardinière chocolatière dont les produits sont façonnés à son style, les saveurs à ses goûts. Ses chocolats sont uniques, inimitables, ils se déclinent sur une gamme limitée en quantité mais illimitée quant à leur qualité. Carine contribue à montrer que les petits artisans chocolatiers méritent la reconnaissance. Et pour tout cela, vraiment merci !

Pour en savoir plus sur ses recettes très aromatiques – chut, ne pas trop en dire pour vous laisser les découvrir et vous en nourrir voluptueusement -, n’hésitez pas à vous rendre sur son site, à vous connecter à son blog ; voire, si jamais vous ratiez les Jardins au cours des escales prévues sur Paris, un petit clic suffit pour passer commande sur la boutique en ligne…

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